Michel KAZANSKI

Les Barbares orientaux et la défense de la Gaule aux IVe-Ve siècles

IMous souhaitons nous pencher ici sur l’inter¬ prétation d’une série d’objets ou de coutumes ori¬ ginaires de la Russie méridionale et de la région du Danube inférieur, trouvés en Gaule, datés du IVe et du Ve siècles et attribués aux Germains orientaux, notamment aux Goths, ainsi qu’aux Alano-Sar-mates et aux Huns. La nature des sites sur lesquels ils ont été découverts, la carte de leur répartition, mettent en évidence, nous le verrons, des liens avec l’histoire militaire de la Gaule (1).

1. Les objets originaires de la culture de Černjahov

Un groupe djobjets provient de la culture ar¬ chéologique de Cernjahov qui relève de la fédéra¬ tion des Goths et de leurs alliés germaniques et non germaniques et s’étend, du IIIe siècle au milieu du Ve siècle, en Ukraine, en Moldavie et en Rouma¬ nie (2). Citons :

— Les peignes en os du type «Thomas III» (fig. 2), les plus nombreux en Gaule, fontjDartie du mobilier caractéristique de la culture de Cernjahov de la période D, datée à partir du second tiers du IVe jusqu’au milieu du Ve siècle. Sur le territoire de l’Empire, ces peignes ont surtout été trouvés dans des forteresses et nécropoles des provinces fronta¬ lières, notamment en Scythie mineure, en Mésie, en Dacie, en Pannonie, en Norique et en Rétie (3). On note d’ailleurs la présence d’un atelier de fabrication à Intercisa en Pannonie (4). En Gaule, les peignes en os du type Thomas III ont été découverts à l’Est, à Cologne (fig. 2, 7) (5) et à Trêves (fig. 2, 1, 3, 5, 8, 9) (6), ainsi que dans des forteresses, des habitats et sur des nécropoles du limes rhénan : Alzey (7) (fig. 2, 11, 15), Bad Kreuznach (fig. 2, 13, 19) (8), Eisenberg (fig. 2, 12) (9), Mungolsheim (fig. 2, 18) (10), Wiesbaden (fig. 2, 10, 14) (11), Kaiseraugst (fig. 16) (12) et Polch-Ruitsch (fig. 2, 6) (13). D’autre part, ils ont été mis au jour au Sud-Ouest, dans des villae romaines : à Beaucaire-sur-Baïse (fig. 2, 17) (14), Séviac et Bapteste (fig. 2, 2) (15) En outre, ils sont connus chez les Barbares d’Occident où ils disparaissent également après le milieu du Ve siècle (16).

— Les petites fibules ansées du type «Ambroz I AA, I AB», à tête semi-circulaire et pied losangé (fig. 1, 1-8, fig. 3, 6) sont aussi caractéristiques de la culture de Cernjahov de la période D. Celles dont le pied se termine par un angle obtus sont surtout répandues au IVe siècle, alors que celles avec un

angle aigu, plus récentes, sont plutôt utilisées entre le troisième quart du IVe siècle et le milieu du Ve siècle. Sur le territoire de l’Empire, ces fibules sont attestées dans la région balkanique, sur le Danube et plus rarement en Italie (17). En Gaule, mentionnons les exemplaires de Reims (fig. 3,

6) (18), de Strasbourg (fig. 1, 3) (19), de Bâle (fig. 1,

7) (20), de la région de Troyes (fig. 1, 1, 2, 8), ainsi que des bassins de la Saône (fig. 1, 4, 5) et de la Marne (fig. 1, 6) (21).

— Les fibules du type Ambroz 16/4, série 3, en arbalète, avec un pied losangé attaché à l’arc sont répandues sur les sites de la culture germanique de Wielbark en Pologne, et sur ceux de la culture de Cernjahov (22). Sur ces derniers, elles sont datées de la fin de la période C-2 et de la période D-l, c’est-à-dire du IVe siècle (23). On les retrouve au nord-est de la mer Noire, notamment sur la nécropole de Djurso, où elles sont attestées jusqu’à la seconde moitié du Ve siècle (24). Sur le territoire de l’Empire, mentionnons un exemplaire dans la tombe 37 de la nécropole de la basilique extra muros d’Histria, en Scythie mineure (25). En Gaule une seule fibule de ce type a été mise au jour dans une tombe datée du milieu du Ve siècle, sur la nécropole de Nouvion-en-Ponthieu, en Picardie, dans la zone du limes saxon (fig. 1, 11) (26).

— Les fibules du type Ambroz 16/2, série 1 dites «Cernjahov», variantes 2, 3, 4, en arbalète avec un pied droit attaché à l’arc (fig. 1, 13-18) sont probablement le type le plus répandu sur les sites de la culture de Cernjahov. G. Diaconu considère la présence sur ces fibules d’une plaque verticale percée pour tenir le ressort comme un trait carac¬ téristique des Goths (27). On distingue les variantes 2 et 3 d’une longueur inférieure à 7 cm et la variante 4 de plus de 7 cm (28). Les fibules du type Ambroz 16/2, série 1, variantes 2, 3, 4 ont surtout été retrouvées dans des régions qui sont en contact avec la population de la culture de Cernjahov : en Cri¬ mée, au Caucase, chez les peuples finnois de la zone forestière de la Russie centrale, sur les sites de la culture slave dite de Kiev localisée dans le bassin de la Desna et en Biélorussie, dans les pays Baltes, sur le territoire des cultures germaniques de la Pologne et enfin dans la région danubienne (29). Il convient de mentionner également la diffusion de ces fibules ou de leurs dérivés chez les Alamans et parmi d’autres Germains occidentaux (30). Les variantes 2 et 3 sont utilisées durant tout le IVe siècle (à la fin de la période C-2 et à la période D-l), tandis que la variante 4 est datée à partir du troisième

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